Eclairage: Devant l’assemblée annuelles conjointes du FMI et du Groupe de la Banque mondiale, Président du Groupe de la Banque mondiale Jim Yong Kimj’ai fait connaître au monde les deux objectifs du groupe à savoir— mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée.
Dans son allocution le 11 avril 2017 à Londres il déclare :
Tout d’abord, nous devons accélérer la croissance économique et l’établir sur des bases solidaires et durables. Nous nous y employons en créant les conditions d’une plus grande efficacité des services publics, en améliorant la gouvernance et en luttant contre la corruption, en accélérant l’investissement dans les infrastructures, en réduisant les risques réels et perçus pour l’investissement privé, en faisant en sorte que le commerce profite à tous, et en créant des marchés pour faire bénéficier les pays en développement des bienfaits de la rigueur et de l’innovation dans le secteur privé.
Ensuite, nous devons investir davantage — et plus efficacement — dans la personne humaine. Nous sommes convaincus que le capital humain va continuer à se valoriser au fil des ans. La demande de compétences numériques s’accélère, à en juger par des indicateurs qui portent à croire que bon nombre des emplois peu complexes et à faible niveau de compétences vont être remplacés par des systèmes automatisés ; et que les emplois restants exigeront des compétences innovantes et plus sophistiquées.
Il faut donc commencer à investir tôt dans le développement humain — en faisant en sorte que les femmes enceintes aient accès à des soins prénatals, et qu’elles puissent exercer leur droit à la nutrition ; en prévenant la malnutrition chez les enfants, afin qu’ils se développent normalement ; en garantissant l’accès de tous à des soins de santé de qualité ; en dispensant des enseignements qui préparent les élèves et les étudiants aux emplois de demain ; et en établissant des filets sociaux qui protègent véritablement les pauvres.
Et enfin, nous devons promouvoir la résilience aux chocs et menaces planétaires. Nous vivons une époque de crises multiples qui se chevauchent – pandémies, changement climatique, réfugiés et famine.
Il est extrêmement important d’aider les pays à se préparer à ces crises. Le Groupe de la Banque mondiale est aujourd’hui la plus grande source de financement de projets climatiques à travers le monde. Nous sommes à l’avant-garde du tout premier mécanisme d’assurance contre les pandémies du genre. Avec les pays affectés et nos partenaires, nous travaillons à mettre un terme à la famine — et nous utiliserons chaque outil à notre disposition, notamment des outils financiers, pour empêcher qu’une autre famine survienne.
En qualité de président du Groupe de la Banque mondiale, j’ai parcouru six continents et rencontré des ressortissants de la plupart des 189 pays membres du Groupe. Presque partout, je vois les gens sur leurs téléphones portables et leurs ordinateurs. L’internet et les médias sociaux leur permettent de savoir exactement comment vivent les autres partout ailleurs. Dans une certaine mesure, c’est la presse et la télévision qui ont longtemps joué ce rôle.
Aujourd’hui par contre, un individu à Butare, au Rwanda, peut envoyer un message sur Facebook à son cousin à Kigali et s’imprégner de la façon dont on vit à 130 kilomètres de là où il se trouve. Les deux peuvent discuter chaque jour avec un ami qui fait ses études à Paris, et découvrir comment on vit à plus de 6 000 kilomètres de chez eux. En fonction de la qualité de la connexion, qui s’avère excellente partout au Rwanda, ces personnes peuvent s’envoyer des courriels, des photos, des vidéos, des snaps, des tweets et des textos à la vitesse de l’éclair.
Le fait de savoir exactement comment vivent les autres, dans leur pays comme à l’étranger, aboutit à une convergence d’aspirations. Permettez-moi d’expliquer ce que j’entends par là.
Durant mes déplacements, il m’a semblé que chaque individu aspirait à ce qu’il pouvait voir, non seulement dans son environnement immédiat, mais également dans l’univers numérique auquel il est connecté.
J’ai voulu savoir si mes impressions étaient étayées par des données, alors j’ai demandé à nos économistes Bill Maloney et Laura Chioda d’analyser les chiffres. Assistons-nous à une convergence des aspirations à l’échelle mondiale ?
À partir de données tirées de l’Enquête mondiale sur les valeurs et du sondage mondial réalisé par l’institut Gallup, Bill et Laura ont cherché à savoir ce que les populations, toutes les couches économiques confondues, pensaient de leur situation financière il y a quinze ans et aujourd’hui.
Ils ont étudié l’évolution de la connectivité internet, et cherché à savoir si les individus manifestaient le désir de vivre à l’étranger, de façon à déterminer par inférence si leurs aspirations se nourrissent de la façon dont on vit dans d’autres pays.
Bien qu’à un stade préliminaire, voici ce que nos travaux ont révélé.
Le bonheur relatif de l’individu dépend de là où il se situe dans l’échelle de répartition des revenus. Il dépend aussi du rapport entre le revenu de l’individu et le revenu de référence, qui est le revenu auquel cet individu compare le sien.
Nous avons également constaté que plus l’internet devient accessible, plus les individus se tournent vers l’extérieur pour établir leur revenu de référence. Et cette corrélation se renforce au fil du temps.
Auparavant, chercher à égaler l’autre voulait dire faire aussi bien que les voisins. Mais l’autre n’est plus seulement celui qui vit dans notre voisinage — grâce à l’internet, l’autre peut se trouver partout dans le monde.
Et le monde en développement est de plus en plus connecté. Le sondage Gallup a révélé que l’accès à l’internet a quasiment doublé dans le quintile le plus pauvre, passant de 11 % en 2009 à 21 % aujourd’hui.
Pourquoi est-ce important ? En Afrique, terre de 1,2 milliard d’habitants, 226 millions de téléphones intelligents étaient connectés à l’internet en fin 2015. D’ici 2020, ce nombre va tripler, pour atteindre les 750 millions. Nous pensons que les aspirations continueront de croître à mesure qu’un plus grand nombre de personnes accède à l’internet.
Il est important de se rappeler que ces aspirations croissantes ne portent pas simplement sur ce que les autres possèdent ; elles sont des exigences d’opportunités auxquelles trop de personnes n’ont pas accès.
Une petite fille pauvre de Quibdo, en Colombie, peut échanger des textos avec son amie à Bogotá et découvrir tout ce qu’il faut savoir sur son école, sur ce qu’elle y apprend et sur les emplois auxquels elle pourra prétendre au terme de ses études. Puis en contemplant sa propre école et ses perspectives d’emplois, elle va probablement aspirer aux mêmes opportunités.
Nous avons découvert que lorsque les gens se réjouissent de la qualité de l’éducation, des programmes de développement du jeune enfant, des mesures de sécurité et des soins de santé auxquels ils ont accès, ils se disent bien plus satisfaits de leurs conditions de vie. Ce sont là des domaines dans lesquels le Groupe de la Banque mondiale investit lourdement et possède une mine de connaissances.
Étant moi-même né en Corée du Sud alors que ce pays était l’un des plus pauvres du monde, je me félicite de la montée des aspirations. Ce qui me préoccupe par contre, c’est la capacité de ceux parmi nous qui travaillent dans le domaine du développement à y faire face.
Lorsqu’elles s’expriment dans un monde d’opportunités, les aspirations peuvent insuffler du dynamisme et favoriser une croissance économique durable et solidaire. Mais je crains, comme semblent l’indiquer les travaux de recherche, qu’en l’absence d’opportunités qui rejoignent ces aspirations, la frustration puisse très bien céder le pas à la fragilité, au conflit, à la violence, à l’extrémisme et, au bout du compte, aux migrations.
Nous observons déjà quelques tendances préoccupantes — deux milliards de personnes vivent dans des pays fragiles et en proie à des conflits ou à la violence. Après une baisse consécutive à la fin de la guerre froide, le nombre de conflits violents augmente rapidement depuis 2010. Et les attentats terroristes ont progressé de 120 % depuis 2012.
D’ici 2030, 50 % des pauvres de la planète habiteront des zones en situation de conflit et de fragilité. Nous ne pourrons réaliser notre objectif d’élimination de l’extrême pauvreté à l’horizon 2030 sans toutefois nous attaquer à ce problème.
Au Groupe de la Banque mondiale, nous pensons qu’il est de notre responsabilité morale d’en faire plus pour aider les gens à sortir à la fois des situations de fragilité et de l’extrême pauvreté, pour contribuer à apporter la stabilité dans les pays où résident ces gens, et pour leur donner espoir en l’avenir.
C’est la raison pour laquelle nous avons doublé l’allocation en faveur des États fragiles au titre d’IDA-18, la portant à plus de 14 milliards de dollars. Nous devons continuer à chercher des moyens inédits et innovants d’aider les pauvres, et de rendre le monde plus sûr et plus stable en finançant des programmes de développement.
Et face à de hautes aspirations, qui sont portées par les Objectifs de développement durable et manifestes dans chaque pays que j’ai visité, nous devons agir rapidement pour faire en sorte que ces aspirations ne se transforment pas en colère, en ressentiment et, pour finir, en extrémisme et en migrations.
D’un point de vue moral et éthique, c’est ce qu’il convient de faire. Mais parce que les aspirations grandissent, la tâche est bien plus pressante que nous ne l’avons jamais imaginé.
Ainsi donc, comment intervenir avec une vitesse et à une échelle jusque-là inégalées, mais qu’il nous faudra pour satisfaire ces aspirations ?
En 2015, avant que le monde n’adopte les Objectifs de développement durable, les Nations Unies et les banques de développement se sont réunies à Addis Abeba pour déterminer comment faire pour trouver les ressources dont nous aurions besoin.
Nous savions que pour atteindre ce qu’on désigne désormais comme les objectifs mondiaux, la communauté internationale devait déplacer le débat des « milliards » consacrés à l’aide publique au développement aux « milliers de milliards » qu’il faudrait pour réaliser des investissements en tout genre : publics et privés, nationaux et mondiaux, à la fois en capital et en capacités.
« Des milliards à des milliers de milliards » ; c’est l’expression que nous avons utilisée pour décrire le montant des ressources financières nécessaires.
Mais pour atteindre ces milliers de milliards, nous devions revoir notre façon de travailler.
Cependant, je vous dirais honnêtement que nous n’avons pas changé suffisamment notre mode de fonctionnement — pas encore du moins.
Pour réussir dans cette énorme mission qui nous attend, nous devons redéfinir fondamentalement notre approche du financement du développement.
Dans nos échanges avec les investisseurs, presque tous disent qu’ils envisageraient d’investir dans les marchés émergents si cela était moins risqué. Compte tenu des faibles profits que tant de détenteurs de capitaux tirent de leurs investissements, on devrait pouvoir proposer de nombreuses solutions mutuellement avantageuses grâce auxquelles les capitaux investis génèrent un meilleur rendement et les pays en développement reçoivent les investissements et les compétences dont ils ont tant besoin.
Par conséquent, notre priorité absolue devrait être d’éliminer systématiquement les risques à la fois au niveau des projets et des pays, afin que ceux-ci puissent recevoir des financements privés, mais en veillant parallèlement à ce que de tels investissements profitent aux populations et aux pays pauvres.
Une telle démarche doit associer le secteur privé dans la mesure du possible. Elle doit en même temps faire appel à notre savoir — nos compétences techniques, notre connaissance des pays et de l’économie — afin que les capitaux produisent effectivement les résultats escomptés sur les populations et les pays pauvres.
Nous devons mettre en jeu nos propres capitaux et notre savoir pour tenir le rôle d’un courtier honnête qui s’entremet entre le système de marché mondial et les intérêts des pays émergents et des populations pauvres de sorte que tous y gagnent.
Nous estimons que toutes les institutions de financement du développement devraient s’employer à attirer les capitaux privés en adoptant un ensemble de principes qui aideront à mobiliser le maximum de ressources pour les pauvres. Nous n’en sommes pas encore là, mais voici comment nous pensons qu’il faudrait procéder pour y parvenir.
Dans tous les cas, nous devons nous poser les questions suivantes : « Quelles sont les priorités du gouvernement ? Qu’est-ce qui sert le mieux les intérêts des populations et des pays pauvres ? Pouvons-nous trouver des solutions mutuellement bénéfiques ? Et ces investissements correspondent-ils à nos valeurs fondamentales que sont l’accès, l’inclusion et l’égalité ?
Voici ce que nous allons faire au sein de notre propre institution :
1. Nous devons revoir la structure des incitations.
Lorsque John Speakman aidait à mettre en place des financements privés pour l’aéroport Reine-Alia, il agissait contre ses propres intérêts. La structure des incitations était telle que la meilleure chose à faire pour lui aurait été d’essayer de monter un prêt et de le soumettre rapidement au Conseil des Administrateurs.
Si un employé de la Banque mondiale consacre des années à la préparation d’un projet et s’y prend tellement bien que le projet devient commercialement viable, nous devons saluer cette prouesse.
Ce qui n’est pas le cas actuellement.
Mais nous travaillons à la refonte des incitations et nous avons entrepris de définir et suivre la mobilisation directe des capitaux du marché de manière à pouvoir récompenser chaque initiative prise pour attirer des financements privés.
Nous avons entrepris de mettre en place un système de suivi qui rend compte des formes indirectes de mobilisation des capitaux, et nous réfléchissons au moyen de récompenser nos agents qui travaillent sur les programmes de services-conseils, le développement des marchés et la création d’un environnement propice à l’investissement.
2. Nous devons travailler d’une manière beaucoup plus efficace au sein du Groupe de la Banque mondiale.
Il s’agit de poser les bonnes questions : la structure financière d’un projet est-elle viable pour bénéficier d’un financement aux conditions du marché ? Sinon, que faudrait-il faire pour parvenir à cette viabilité ?
Cela signifie que les employés de la BIRD et de l’IDA doivent penser plus comme des investisseurs privés, et ceux de l’IFC et de la MIGA comme des réformateurs de politiques publiques.
Si les agents des deux catégories d’institutions parviennent à se mettre les uns à la place des autres, nous pourrons faire un grand pas vers la multiplication des financements à l’appui du développement.
3. Nous devons poser un tout autre regard sur nous-mêmes.
Actuellement, nous voyons en nous un prêteur. Nous nous nous considérons comme un investisseur.
Nous nous voyons bien nous occuper de petites composantes du programme de développement, financer directement des projets et travailler à l’atteinte d’objectifs spécifiques en matière de politiques publiques.
Nous devons plutôt nous considérer comme des conseillers stratégiques et des courtiers honnêtes qui jettent des passerelles entre des capitaux en quête d’un rendement plus intéressant et des pays cherchant à combler leurs plus hautes aspirations.
Notre pays doit servir d’exemple de cette vision il doit être bien conseillé et les projets de la Banque mondiales doivent contribuer à améliorer les conditions de vie de nos populations vulnérables.
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